Dans un marché en plein essor, face à la concurrence des pays tiers, la culture du chanvre doit être davantage soutenue et les règles harmonisées en Europe, ont affirmé des experts et des députés au Parlement européen.
Lors d’une réunion de la commission AGRI au Parlement européen mardi (28 février), différents experts du secteur du chanvre ainsi que les parlementaires présents ont appelé au développement du secteur ainsi qu’à l’harmonisation entre les pays membres.
Entre 2015 et 2019, la culture de cette plante est passée de 19 970 hectares (ha) à 34 960, soit une augmentation de 75 %. La production a progressé de plus de 60 % dans la même période.
Bâtiment, textile, cosmétique, alimentation… Les applications industrielles du chanvre sont vastes, et toutes les parties de la plante peuvent être valorisées : les graines pour l’alimentation, la paille pour les biomatériaux ou encore la fleur pour le Cannabidiol (CBD), fameuse molécule reconnue pour ses effets apaisants et relaxants.
La France assure plus de 70 % de la production de l’Union, suivie des Pays-Bas (10 %) et de l’Autriche (4 %).
« L’UE dispose des plus importantes cultures au monde, mais cela ne concerne encore que 0,05 % des surfaces cultivées à l’échelle de l’UE. C’est 10 fois moins que le coton et le riz, qui ne sont pourtant pas des cultures majeures en Europe », souligne Marco Fugazza, responsable des affaires économiques à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
Pour la productrice irlandaise Kate Carmody, le secteur manque cruellement de subventions et de soutiens, pour cultiver et surtout transformer cette plante robuste :
« Nous nous heurtons à de grandes difficultés. Nous avons besoin d’infrastructures pour décortiquer la plante et des raffineries pour traiter les fleurs et les feuilles. Cela nécessite des financements, car les coûts sont parfois prohibitifs », témoigne la vice-présidente de la Coopérative irlandaise de chanvre.
Dans le cadre de la nouvelle PAC, les producteurs peuvent percevoir des aides à l’hectare, à condition de respecter deux conditions réglementaires : que la variété de chanvre compte parmi les 75 inscrites dans le catalogue de l’UE, et que le niveau de THC soit inférieur à 0,3 %.
Le tétrahydrocannabinol (THC) est la substance qui permet de séparer le chanvre industriel du chanvre récréatif, utilisé pour produire des stupéfiants. Le rehaussement du seuil de 0,2 % à 0,3 % dans cette nouvelle PAC offre aux cultivateurs européens un nombre plus important de variétés, et permet de s’aligner sur les gros producteurs concurrents que sont la Chine et dans une moindre mesure les États-Unis.
Toutefois, les élus et les différents spécialistes notent de fortes disparités entre les États membres dans leur accompagnement.
Seules la France, la Pologne, la Roumanie et la Finlande ont activé le soutien couplé facultatif pour le chanvre, une aide spécifique de la PAC destinée à des cultures en difficulté ou d’importance économique.
« Le soutien couplé facultatif a permis d’augmenter la production qui s’est stabilisée autour de 33 000 hectares en 2021 », précise Michael Pielke, représentant de la DG Agri à la Commission européenne en s’appuyant sur les dernières données de l’UE (Eurostat).
« D’une façon générale, nous voyons que les États membres conservent le statu quo en termes de soutien », tempère-t-il.
De son côté, l’eurodéputé allemand Martin Häusling appelle à un renforcement des aides du deuxième pilier de la PAC, destinées à l’investissement dans les équipements pour l’installation, le stockage et la transformation du chanvre industriel.
« 33 000 hectares ce n’est rien, c’est une niche. Nous gaspillons un potentiel énorme dans l’agriculture », déplore le député Vert.
Le chanvre offre pourtant un potentiel important pour les cultivateurs, selon l’économiste Marco Fugazza. En effet, « les chiffres vont être multipliés par 4 à l’avenir, pour atteindre 20 milliards de dollars américains d’ici à 2027, avec des taux de croissance qui dépasseront 20 % pour toutes les utilisations du chanvre. »
Avant de prévenir : « les autres grands pays investissent de plus en plus, afin de consolider leur production et suivre notre exemple. Il s’agit de ne pas prendre de retard. »
Parmi les principaux leviers évoqués : l’harmonisation des législations, pour pouvoir notamment exploiter la plante dans sa totalité, de la graine à la fleur, en passant par les feuilles et la tige.
Or, certains pays comme les Pays-Bas interdisent l’exploitation de la fleur et des feuilles, malgré l’arrêt de la Cour de justice européenne (CJUE), qui a jugé en 2020 qu’aucun État membre ne pouvait interdire l’utilisation de ces composés. Une décision qui a poussé la France à revenir sur son arrêté prohibant la commercialisation des fleurs de CBD.
« L’exploitation de toutes les parties de la plante est la seule approche qui puisse vraiment permettre de profiter de tous les bénéfices du chanvre, en termes agronomiques, mais aussi environnementaux », précise Marco Fugazza.
Ces cultures sont en effet de puissants pièges à carbone. À titre de comparaison, un hectare de chanvre absorbe plus de CO2 qu’un hectare de forêt. Selon l’économiste, le fait de brûler les feuilles et les fleurs comme le font les Pays-Bas diminuerait ces effets positifs, voire les annulerait.
Les bénéfices environnementaux, mais aussi agronomiques — faible besoin en produits phytosanitaires, résistance aux sécheresses, croissance rapide — font de cette culture un outil intéressant pour répondre aux ambitions du Pacte vert pour l’Europe.
« Cette culture correspond tout à fait à notre philosophie », souligne le représentant de la Commission Michael Pielke.
Quelques voix ont enfin alerté sur les barrières psychologiques qui freinent toujours le développement du secteur. Pour le député Martin Osling, « le chanvre est encore beaucoup associé à une drogue, il faut mettre fin à ce débat. »
Et M. Pielke de nuancer : « Le chanvre présente des risques. Si le législateur a relevé le taux de THC autorisé dans la nouvelle PAC, et mis à disposition des outils pour soutenir le secteur, la Commission et les États membres restent déterminés à rester dans le cadre des Nations Unies sur les drogues, car c’est dans ce cadre que fonctionne la PAC. »
La Convention unique sur les stupéfiants de l’ONU signée en 1961 considère comme nocives certaines parties du chanvre (la fleur et le fruit). Sauf s’ils contiennent moins de 3 % de THC conformément aux nouvelles réglementations européennes.
SOURCE: Euractiv.fr