• 4 years after legalization: profits go up in smoke
  • 4 years after legalization: profits go up in smoke

4 ans après la légalisation : les profits partent en fuméeÉconomie

Publié le 17 octobre 2022 par AQIC

Les grands producteurs de cannabis voient rouge quatre ans après la légalisation de la substance à des fins récréatives. Déficitaires, ils en arrachent plus que jamais et leurs actions sont en déroute à la Bourse de Toronto. Si l’euphorie n’a pas été au rendez-vous pour les investisseurs, le portrait est différent pour les provinces ainsi que les consommateurs.

« On a surestimé la demande, explique le chef des placements chez Triasima, André Chabot. La légalisation était pour le Canada, mais certains prévoyaient déjà que les entreprises allaient signer des contrats de vente aux États-Unis et un peu partout. Rien de cela ne s’est produit. »

Licenciements massifs, fermetures de sites de production et remaniements d’équipes de direction : les nouvelles ont rarement été réjouissantes pour les principaux producteurs de cannabis. L’avenir de Hexo, établie à Gatineau, a même été remis en question par son propre auditeur il y a un an en raison de la précarité de sa situation financière.

Pour les investisseurs qui ont conservé leurs actions, le portrait n’est guère réjouissant. Un investissement de 100 $ réalisé dans Canopy Growth le 17 octobre 2018 — jour de la légalisation du cannabis — ne vaut plus que 5,16 $. Il ne reste que des miettes avec Hexo (77 cents) et Aurora Cannabis (93 cents) pour le même investissement dans chacune de ces entreprises.

Parallèlement aux attentes erronées, la fragmentation du marché, le nombre élevé d’acteurs et les pressions à la baisse sur le prix du gramme de cannabis expliquent en grande partie les difficultés de l’industrie, selon M. Chabot.

« C’est une course à la réduction des coûts, dit-il. Les gagnants seront ceux qui vont réussir. Il y a des économies d’échelle à faire et la consolidation n’est pas terminée. On est plus près du creux que du sommet, mais on n’a pas encore touché le creux. »

Trop d’acteurs

Au Canada, environ 915 cultivateurs, transformateurs et vendeurs détiennent une licence en vertu de la Loi sur le cannabis, alors que ces dernières étaient autrefois accordées au compte-gouttes par Santé Canada. On en dénombre 92 en territoire québécois.

Cela a contribué à une forte augmentation de la production de cannabis séché au pays. De 2019 à 2021, elle a progressé d’environ 40 % pour s’établir à 1616 tonnes, d’après les données de Statistique Canada. Pourtant, l’industrie est incapable d’écouler ses stocks. L’an dernier, 425 tonnes de cannabis séché non vendues ont été détruites, selon le média américain MJBizDaily, spécialisé sur l’industrie du cannabis.

Les risques de rupture de stock dans les boutiques sont faibles en cas de disparition soudaine d’un producteur.

« Il y a encore de la surcapacité même si les producteurs ont tempéré leurs ardeurs, affirme Rishi Malkani, responsable du secteur du cannabis chez Deloitte. Il y a trop de producteurs et la tarte n’est pas suffisamment grande. »

Ce dernier anticipe un régime minceur dans l’industrie. À l’Association québécoise de l’industrie du cannabis (AQIC), qui regroupe 75 membres, on s’attend encore à quelques « années difficiles ».

« L’industrie a une responsabilité et il y a eu des erreurs, admet son directeur général Pierre Leclerc. Il y avait une compréhension du milieu d’affaires qui n’était pas totalement juste. Certaines entreprises se sont heurtées à la capacité de commercialiser des produits. »

Cet ex-stratège du Parti libéral du Québec jette également une partie du blâme sur la rigidité du cadre réglementaire en place. En entrevue, il s’explique mal comment on peut légaliser une industrie tout en mettant ses membres « à l’index ».

« Personne n’a communiqué publiquement que les producteurs n’auraient accès à aucun programme du gouvernement et que la grande majorité des entreprises à capital fermé auraient de la difficulté à s’ouvrir un compte de banque, affirme M. Leclerc. L’État a aussi sa responsabilité. »

Les vendeurs dans le vert

Le portrait est beaucoup moins sombre du côté des sociétés d’État responsables de la vente du cannabis et de ses produits dérivés. Selon une étude réalisée en mai dernier par le cabinet EY, environ 70 % de l’argent dépensé par les consommateurs se retrouve dans les coffres des provinces.

Après un premier exercice financier où les coûts de démarrage ont été responsables d’une perte nette de 4,9 millions, la Société québécoise du cannabis a dégagé un excédent l’année suivante (2019-2020). La société d’État a généré des profits de 76 millions l’an dernier, en hausse de 14 %. Cette somme est destinée à la recherche sur le cannabis et la prévention.

« Pendant que l’industrie n’arrive pas à générer des profits, les provinces engrangent, et de loin, le gros de tous les revenus de la chaîne d’approvisionnement du cannabis, souligne M. Leclerc. Ce sont elles, les gagnantes. »

M. Chabot est du même avis.

Et le consommateur ? Depuis 2018, à la SQDC, il a vu le prix moyen du gramme fléchir chaque année depuis la légalisation du cannabis à des fins récréatives.

« Si je prends la transition d’un consommateur du marché illicite vers le licite, il est gagnant, affirme le président de l’AQIC. Il est assuré d’avoir un produit extrêmement contrôlé et qui ne contient pas de substances nocives. »

Cependant, le cadre québécois ne permet pas la vente de produits comestibles comme les friandises et les desserts, ce qui limite l’offre. M. Leclerc croit aussi que la marge de manœuvre des conseillers de la SQDC ne permet pas d’accompagner le consommateur adéquatement.

En rétrospective, le bilan des quatre dernières années est mitigé, selon M. Malkani, qui chiffre à 5 milliards le marché de la vente au détail à l’échelle nationale.

« Connaissez-vous des industries qui peuvent faire cela ? demande l’expert de Deloitte. Il y a beaucoup d’éléments positifs quand même. »

Selon M. Malkani, il existe un marché illicite oscillant entre 2 et 3 milliards qui peut être converti. Pour le marché légal, il y a donc encore place à la croissance, croit-il.

Le « statu quo n’est pas une option »

La Société québécoise du cannabis (SQDC) est désormais bien implantée dans le paysage québécois. Les ratés entourant son démarrage après le 17 octobre 2018 ne sont plus qu’un mauvais souvenir, mais le travail est loin d’être terminé. En poste depuis un an, le président-directeur général Jacques Farcy a néanmoins quelques chantiers devant lui. Le gestionnaire fait le point avec La Presse sur ce qui attend la société d’État.

Penser à la « phase deux »

Avec son réseau de 90 succursales, la SQDC s’approche de son objectif de 98 points de vente. Selon M. Farcy, cette empreinte sera suffisante pour continuer à ravir des consommateurs au marché noir. Le patron de la société d’État doit cependant penser aux « trois à quatre prochaines années ». « Cela va se traduire dans un plan stratégique qui sera rendu public en février ou en mars, dit M. Farcy. Nous sommes fiers de ce qui a été accompli dans les quatre dernières années, mais une chose est claire : le statu quo n’est pas une option. »

 

Sans ouvrir son jeu, ce dernier a souligné que la SQDC se penchait, par exemple, sur certains projets en matière d’accessibilité. On teste la livraison en 90 minutes dans les grands centres, ce qui pourrait être déployé à plus grande échelle si les essais sont concluants.

Convaincre les consommateurs de revenir

Il y a environ 1 million de clients qui ont migré vers la SQDC depuis la légalisation du cannabis à des fins récréatives. S’il s’en réjouit, M. Farcy souligne que ces consommateurs ne sont pas « forcément exclusifs et qu’ils peuvent à l’occasion retourner vers le marché noir ». « On doit s’assurer que les clients nous choisissent. Ça se fera avec l’accompagnement, le choix des produits, la simplicité et le rapport qualité-prix. »

Comment y arriver ? Avec un prix moyen du gramme comparable à ce que l’on retrouve sur le marché noir ainsi qu’avec un effort d’information auprès de la clientèle. Le président de la SQDC estime que les consommateurs ignorent que certaines catégories, comme les produits comestibles et le haschich, sont offertes dans les succursales. « Dans nos succursales, vous avez beaucoup de produits affichés au mur, mais vous n’avez pas forcément une information qui vous explique exactement quelles sont les catégories que nous vendons. »

Les relations de travail

Les relations ont été houleuses entre l’employeur et les syndicats qui représentent les employés de la SQDC. La grève des membres de la Fédération des employés des services publics, affiliée à la CSN, a été réglée. Un autre débrayage qui touche 22 boutiques se poursuit depuis environ cinq mois. Ces travailleurs sont représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique, affilié à la FTQ. Prudent, M. Farcy s’est limité à dire qu’il faisait confiance « à la table des négociations » pour dénouer l’impasse.

Mais ces conflits de travail suggèrent-ils que le climat de travail est mauvais à la SQDC ? « On a promu, l’an dernier, plus de 100 personnes, répond M. Farcy. C’est une belle organisation dans laquelle travailler, je veux être certain que le message se rende. Lorsque l’on ouvre une succursale, on reçoit énormément de candidatures. »

Les relations avec les fournisseurs

Malgré les problèmes financiers de plusieurs producteurs, la SQDC ne s’inquiète pas d’éventuels problèmes d’approvisionnement en raison d’une capacité excédentaire sur le marché. La société d’État fait affaire avec 32 fournisseurs. Ses façons de faire ont changé dans la dernière année.

En démarrage, la SQDC souhaitait sécuriser des volumes auprès de certains producteurs privilégiés. Ce n’est plus le cas. « Nous sommes passés d’une logique de gestion de fournisseurs à une gestion par catégories de produits, explique M. Farcy. Aujourd’hui, on exprime nos besoins sur des catégories. On communique l’information à l’ensemble de l’industrie et c’est elle qui répond à nos besoins, peu importe le fournisseur. Nous sommes à un stade de notre croissance où c’était le bon moment pour évoluer. »

Les changements se sont déployés progressivement puisque l’industrie a besoin de temps pour se préparer, affirme le dirigeant de la SQDC.

SOURCE: La Presse