Le vapotage de cannabis gagne du terrain chez les adolescentsActualité du jour

Publié le 13 mai 2022 par AQIC

Le paquet est arrivé moins de 24 heures après avoir été commandé : pour obtenir un appareil de vapotage prérempli de cannabis et un concentré de cannabis, il a suffi à La Presse de magasiner sur un site ontarien choisi au hasard. Il a bien fallu répondre à une question : avez-vous 19 ans ? Oui.

Les 85 $, livraison comprise, ont été payés par virement bancaire. « S’il vous plaît, n’ajoutez pas un message qui précise qu’il s’agit de cannabis dans le transfert d’argent électronique », nous a-t-on demandé.

Rien n’indique qu’il y a du cannabis dans le paquet commandé en fin de journée et reçu le lendemain matin. Il n’a pas été nécessaire de signer pour que Postes Canada le dépose sur le pas de la porte. Discrétion assurée.

Au cours des dernières années, un mode de consommation du cannabis a gagné en popularité chez les adolescents : le vapotage. L’une des façons simples de le faire est de se procurer des appareils déjà remplis. Les appellations varient, mais wax pen, vape pen et dab pen sont les plus communes pour en parler.

« Ce sont des produits à haute teneur en THC, l’agent qui agit sur le cerveau et qui peut donner des dépendances », explique le Dr Nicholas Chadi, pédiatre au CHU Sainte-Justine et chercheur spécialisé en toxicomanie et médecine de l’adolescence.

Le médecin dit voir « de plus en plus » de consommation de cannabis de cette façon. « Beaucoup de jeunes qui se présentent pour des intoxications à l’alcool ou à d’autres substances vont dire qu’ils consomment de la wax pen », observe le Dr Nicholas Chadi.

Sur le produit prérempli jetable acheté par La Presse, tout comme sur l’emballage du concentré, la teneur en THC n’est même pas indiquée. Il faut se fier aux quelques commentaires en ligne. « Le buzz est intéressant », écrit un utilisateur du produit. « Parfait pour chiller à la maison », écrit un autre.

Les emballages d’autres produits du genre vendus sur l’internet sont plus transparents : le taux de THC est de 97 % ou 98 %, y lit-on.

Des produits « facilement dissimulables »

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), constate lui aussi que le vapotage de cannabis est en vogue chez les jeunes du secondaire.

« On avait déjà un problème important avec le vapotage [de tabac], et ça s’est ajouté. Ça circule beaucoup », dit M. Prévost.

Le fait que ces produits ne dégagent aucune odeur rend les interventions en milieu scolaire encore plus difficiles.

« [Les jeunes] ont développé toutes sortes de stratégies pour consommer sans se faire prendre, même à l’intérieur des murs de l’école. Ces produits-là sont facilement dissimulables », dit Audrey-Anne Lecours, superviseure clinique chez Action Toxicomanie Bois-Francs, à Victoriaville.

Informer, sans paniquer

Coordonnatrice de l’organisme Plein Milieu, qui fait notamment de la prévention en toxicomanie dans des écoles secondaires de Montréal, Joëlle Dalpé insiste : il faut éduquer, oui, sans paniquer face à cette façon de consommer du cannabis.

Il faut également se garder de généraliser, dit-elle. Ce n’est pas « l’ensemble des jeunes » qui en consomme, mais il est indéniable que ces produits sont « extrêmement forts ».

Une puff ou deux, et c’est déjà deux à trois fois plus fort qu’un joint de la SQDC. Il ne faut pas grand-chose pour être gelé.

Joëlle Dalpé, coordonnatrice de l’organisme Plein Milieu

Mais ces produits ne sont pas donnés. Certains jeunes se procurent ces appareils à plusieurs, d’autres revendent des bouffées à leurs amis pour rentabiliser leur achat, explique Mme Dalpé.

Le pédiatre Nicholas Chadi ajoute que les jeunes ne perçoivent pas très bien les risques qu’il y a à consommer ces produits. « Ils comparent ça à une vapoteuse de nicotine. Il faut savoir que ça peut avoir un effet sur la santé mentale, le développement du cerveau, perturber le sommeil, l’appétit », explique le Dr Chadi.

Comme pour les autres moyens de consommer de la drogue, de la prévention est faite chez les jeunes pour éviter la banalisation. Comme pour les boissons sucrées à haute teneur en alcool, le marketing cible les adolescents. « On est toujours dans le même pattern : les jujubes, les bonhommes, c’est le fun ! », dit Joëlle Dalpé.

Souvent, ajoute-t-elle, les parents ne font pas la distinction entre les appareils qui permettent de vapoter du cannabis et les vapoteuses de nicotine.

C’est précisément pour cette raison qu’Audrey-Anne Lecours, superviseure clinique chez Action Toxicomanie Bois-Francs, à Victoriaville, veut en parler.

« La formule traditionnelle qui veut qu’on achète de la drogue d’un revendeur dans le fond d’une ruelle, ce n’est plus ça du tout : les jeunes commandent à partir de leur ordinateur et se font livrer ça dans le confort de leur maison », illustre Mme Lecours.

Parents, dit-elle, jetez donc un œil avisé sur les colis que vos ados reçoivent.

SOURCE: La Presse