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La filière québécoise du chanvre prend son envolProduits

Publié le 15 août 2023 par AQIC

C’est au Lac-Saint-Jean que l’on retrouve la plus grosse concentration de producteurs de chanvre au Québec. Depuis maintenant deux décennies, les producteurs biologiques se sont spécialisés dans la production des graines pour la consommation humaine. Alors que de nouveaux marchés émergent dans le domaine du textile et de la construction, des tests sont en cours pour savoir s’il est possible de produire de la fibre de chanvre de manière rentable. Reportage.

En ce début du mois d’août, les plants de chanvre font près de deux mètres de haut dans les champs de la Ferme Taillon, à Saint-Prime. «C’est une saison extraordinaire pour le chanvre», souligne Christian Taillon, ajoutant que la chaleur et les pluies abondantes ont favorisé sa croissance.

Habituellement, le producteur récolte le chanvre seulement à la mi-septembre, lorsque la graine est à maturité, mais cette année, une partie du chanvre est déjà au sol. «On fait des tests avec différents cultivars pour récolter la fibre», dit-il.

 

Développer de nouvelles techniques

Bien qu’il cultive le chanvre depuis 2003, la culture et la récolte de la plante à des fins textiles ou techniques (pour la construction et les matériaux) sont bien différentes. Cette filière est bien développée en Europe depuis 75 ans, mais le climat européen est différent de celui du Québec, note Christian Taillon.

Pour faire de la fibre, la récolte du chanvre se fait avant que les fleurs ne deviennent des graines, soit à la fin juillet. Il faut ensuite laisser la fibre entre 40 et 60 jours au sol, une technique appelée le rouissage. «On laisse la plante sur le sol pour que les bactéries et l’humidité décollent la fibre de la tige», explique le producteur.

De plus, les cultivars utilisés pour produire de la fibre sont différents des cultivars semés pour la graine. «Il n’y a pas d’autre culture aussi payante au Saguenay-Lac-Saint-Jean», remarque Audrey Bouchard, agronome pour le Groupe multiconseil agricole du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Pour conserver le marché de la graine, les producteurs aimeraient donc trouver un cultivar à double fin, qui soit en mesure de produire de la fibre et des graines. Sinon, il faudra trouver des cultivars pour la fibre qui sont assez intéressants pour inciter les producteurs à en semer.

Pour y voir plus clair, des tests réalisés en partenariat avec le GMA et le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) sont en cours, cet été, dans les champs. «Sept différents cultivars sont testés pour la fibre à deux taux de semis différents», explique Audrey Bouchard. Pour chaque cultivar, deux dates de récolte sont à l’essai, notamment pour savoir si c’est possible d’attendre que la graine soit mature pour récolter la fibre. «Des échantillons de fibre seront pris après le rouissage, mais pour l’instant, on prend des données sur la longueur et le diamètre des plans, des épis et des racines, dit-elle. On regarde aussi s’il y a des pathologies sur les plants.»

 

Ces données permettront de comparer la performance des différents cultivars selon le type de régie, et éventuellement de calculer la quantité de carbone séquestrée dans les plants, une donnée qui pourrait être utile pour obtenir des crédits carbone en déplaçant éventuellement des matériaux issus de sources fossiles.

 

Textile, prise 2

L’idée de développer une filière pour la fibre de chanvre n’est pas nouvelle, car les producteurs savent que d’autres débouchés que la graine existent. Mais toute la structure industrielle doit être en place pour permettre l’utilisation de la fibre.

En 2018, deux promoteurs, pour le textile et pour les matériaux composites, avaient stimulé l’intérêt chez les producteurs pour développer la fibre de chanvre, mais les deux projets sont tombés à l’eau.

Cette fois-ci, c’est la Société québécoise de développement des plantes industrielles (SQDPI) qui mène l’initiative pour faire décoller la filière de la fibre de chanvre québécoise. «On veut remplacer le maximum de produits d’origine fossile par des produits à base de plantes qui emmagasinent le carbone», soutient la présidente Caroline Coulombe.

D’importants partenaires privés travaillent déjà avec la SQDPI, car ils aimeraient utiliser la fibre dans leurs produits. C’est notamment le cas de Cascades, qui veut utiliser le chanvre dans ses barquettes, et Soprema, comme isolant.

Des entreprises émergentes comme Texonic s’intéressent aussi au chanvre. «On développe des matériaux composites avec des fibres naturelles pour réduire l’empreinte carbone des matériaux», explique Nicolas Juillard, vice-président technologies et développement, parlant de marchés intéressants dans les coques de bateaux, dans les carrosseries de voitures ou dans les skis.

«Le coût en GES est énorme pour faire de la fibre de verre parce qu’il faut déplacer du sable sur des milliers de kilomètres et le faire fondre à 1300°C. En développant une filière locale de chanvre, on peut réduire significativement l’empreinte carbone des matériaux composites», précise-t-il.

L’entreprise félicinoise LAMCO s’intéresse également au chanvre, pour développer des panneaux isolants avec du béton de chanvre. Un premier test de produits devrait d’ailleurs être réalisé, cet automne, en partenariat avec Béton Provincial, en utilisant le procédé développé par Wall’up, une entreprise française qui fabrique de tels panneaux isolants.

«La SQDPI a obtenu un contrat d’exclusivité avec Wall’up pour le procédé», soutient Caroline Coulombe. Du béton de chanvre sera donc coulé dans les murs préfabriqués conçus par LAMCO pour réaliser un projet pilote.

Des initiatives sont également en cours pour faire reconnaître les crédits carbone qui pourraient être liés à l’utilisation de tels matériaux, afin de donner la pleine valeur au produit.

Le prix est souvent la clé pour convaincre les producteurs, les transformateurs et les acheteurs.

Pour l’instant, les producteurs demeurent prudents lors des essais, car ils ont déjà été déçus par le passé. «On a besoin de contrats signés avec un bon prix pour produire plus de chanvre», remarque Christian Taillon, toujours prêt à innover, ajoutant que les producteurs ne peuvent pas prendre seuls tous les risques financiers.

Pour savoir quel sera le prix final, il faudra que toute la filière se mette en place, afin d’exploiter chaque partie de la tige. Par exemple, c’est avec l’extérieur de la tige que l’on peut faire du textile ou de la laine isolante, alors que le cœur, appelé chènevotte, est utilisé pour faire du béton de chanvre, du paillis ou des barquettes.

Peu importe l’utilisation finale, il faut des équipements spécialisés pour transformer la fibre. À l’heure actuelle, il n’y a aucune défibreuse de chanvre au Québec. Ce problème devrait toutefois être bientôt réglé, car la SQDPI compte investir 8 millions$ pour aménager la première usine de transformation de la fibre à Val-des-Sources. «On est en train de finaliser la ronde de financement», souligne Caroline Coulombe, ajoutant qu’un projet de béton de chanvre pourrait également voir le jour à Saint-Félicien.

Comme c’est au Lac-Saint-Jean que l’on retrouve plus de 70% de la production de chanvre au Québec, la région est un incontournable pour développer cette filière, dit-elle. En plus de la Ferme Taillon, les fermes Olofée à Saint-Félicien et TournevenT à Hébertville fourniront de la fibre de chanvre pour faire des tests cette année.

Selon Caroline Coulombe, les astres sont désormais alignés pour permettre l’essor de la fibre de chanvre.

SOURCE: Le Nouvelliste